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déguenillés et pieds nus, qui passaient. Elle s'approcha d'eux et dit:
Ceux-ci, c'est deux filles et un garçon.
Et voyant qu'ils regardaient son pain, elle le leur donna.
Les enfants prirent le pain et eurent peur.
Elle s'enfonça dans la forêt.
IV. UNE MEPRISE
Cependant, ce jour-là même, avant que l'aube parût, dans l'obscurité indistincte de la forêt, il s'était passé, sur
le tronçon de chemin qui va de Javené à Lécousse, ceci:
Tout est chemin creux dans le Bocage, et, entre toutes, la route de Javené à Parigné par Lécousse est très
encaissée. De plus, tortueuse. C'est plutôt un ravin qu'un chemin. Cette route vient de Vitré et a eu l'honneur
de cahoter le carrosse de madame de Sévigné. Elle est comme murée à droite et à gauche par les haies. Pas de
lieu meilleur pour une embuscade.
Ce matin-là, une heure avant que Michelle Fléchard, sur un autre point de la forêt, arrivât dans ce premier
village où elle avait eu la sépulcrale apparition de la charrette escortée de gendarmes, il y avait dans les
halliers que la route de Javené traverse au sortir du pont sur le Couesnon, un pêle-mêle d'hommes invisibles.
Les branches cachaient tout. Ces hommes étaient des paysans, tous vêtus du grigo, sayon de poil que
portaient les rois de Bretagne au sixième siècle et les paysans au dix-huitième. Ces hommes étaient armés,
les uns de fusils, les autres de cognées. Ceux qui avaient des cognées venaient de préparer dans une clairière
une sorte de bûcher de fagots secs et de rondins auxquels on n'avait plus qu'à mettre le feu. Ceux qui avaient
des fusils étaient groupés des deux côtés du chemin dans une posture d'attente. Qui eût pu voir à travers les
feuilles eût aperçu partout des doigts sur des détentes et des canons de carabine braqués dans les embrasures
que font les entrecroisements des branchages. Ces gens étaient à l'affût. Tous les fusils convergeaient sur la
route, que le point du jour blanchissait.
Dans ce crépuscule des voix basses dialoguaient.
Es-tu sûr de ça?
Dame, on le dit.
Elle va passer?
On dit qu'elle est dans le pays.
Il ne faut pas qu'elle en sorte.
Il faut la brûler.
Nous sommes trois villages venus pour cela.
Oui, mais l'escorte?
IV. UNE MEPRISE 187
Quatre-vingt-treize
On tuera l'escorte.
Mais est-ce que c'est par cette route-ci qu'elle passe?
On le dit.
C'est donc alors qu'elle viendrait de Vitré?
Pourquoi pas?
Mais c'est qu'on disait qu'elle venait de Fougères.
Qu'elle vienne de Fougères ou de Vitré, elle vient du diable.
Oui.
Et il faut qu'elle y retourne.
Oui.
C'est donc à Parigné qu'elle irait?
Il paraît.
Elle n'ira pas.
Non.
Non, non, non!
Attention.
Il devenait utile de se taire en effet, car il commençait à faire un peu jour.
Tout à coup les hommes embusqués retinrent leur respiration ; on entendit un bruit de roues et de chevaux. Ils
regardèrent à travers les branches et distinguèrent confusément dans le chemin creux une longue charrette,
une escorte à cheval, quelque chose sur la charrette ; cela venait à eux.
La voilà! dit celui qui paraissait le chef.
Oui, dit un des guetteurs, avec l'escorte.
Combien d'hommes d'escorte?
Douze.
On disait qu'ils étaient vingt.
Douze ou vingt, tuons tout.
Attendons qu'ils soient en pleine portée.
IV. UNE MEPRISE 188
Quatre-vingt-treize
Peu après, à un tournant du chemin, la charrette et l'escorte apparurent.
Vive le roi! cria le chef paysan.
Cent coups de fusil partirent à la fois.
Quand la fumée se dissipa, l'escorte aussi était dissipée. Sept cavaliers étaient tombés, cinq s'étaient enfuis.
Les paysans coururent à la charrette.
Tiens, s'écria le chef, ce n'est pas la guillotine. C'est une échelle.
La charrette avait en effet pour tout chargement une longue échelle.
Les deux chevaux s'étaient abattus, blessés ; le charretier avait été tué, mais pas exprès.
C'est égal, dit le chef, une échelle escortée est suspecte. Cela allait du côté de Parigné. C'était pour
l'escalade de la Tourgue, bien sûr.
Brûlons l'échelle, crièrent les paysans.
Et ils brûlèrent l'échelle.
Quant à la funèbre charrette qu'ils attendaient, elle suivait une autre route, et elle était déjà à deux lieues plus
loin, dans ce village où Michelle Fléchard la vit passer au soleil levant.
V. VOX IN DESERTO
Michelle Fléchard, en quittant les trois enfants auxquels elle avait donné son pain, s'était mise à marcher au
hasard à travers le bois.
Puisqu'on ne voulait pas lui montrer son chemin, il fallait bien qu'elle le trouvât toute seule. Par instants elle
s'asseyait, et elle se relevait, et elle s'asseyait encore. Elle avait cette fatigue lugubre qu'on a d'abord dans les
muscles, puis qui passe dans les os ; fatigue d'esclave. Elle était esclave en effet. Esclave de ses enfants
perdus. Il fallait les retrouver ; chaque minute écoulée pouvait être leur perte ; qui a un tel devoir n'a plus de
droit ; reprendre haleine lui était interdit. Mais elle était bien lasse. A ce degré d'épuisement, un pas de plus
est une question. Le pourra-t-on faire? Elle marchait depuis le matin ; elle n'avait plus rencontré de village,
ni même de maison. Elle prit d'abord le sentier qu'il fallait, puis celui qu'il ne fallait pas, et elle finit par se
perdre au milieu des branches pareilles les unes aux autres. Approchait-elle du but? touchait-elle au terme de [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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